Interview de Mr Bernard Devos, Délégué Général aux Droits de l’Enfant
La première interview ne pouvait être que celle de Mr Bernard Devos (B.D.),à l’époque directeur de notre AMO (service d’Aide en Milieu Ouvert) « SOS-Jeunes / Quatier Libre » et aujourd’hui, Délégué général aux droits de l’enfant. Il nous donne sa vision de la fugue et de l’image des jeunes ; une vision mise en parallèle avec l’actualité sociale et politique.
Interview :
- Comment souhaiteriez-vous vous présenter à nos internautes ?
- Dans le cadre de votre activité professionnelle, vous avez réagi, dans le journal « Droits des jeunes », sur certains propos qui associent la fugue au délit. Quelle est votre position ?
- En tant que directeur d’une AMO, quels seraient les conseils que vous donneriez à des jeunes qui ont fugué ou pensent fuguer ?
- Justement, l’actualité est assez riche au niveau des fugues, disparitions et, au niveau même, d’autres problèmes de délinquance. Quel est, selon vous, l’impact de l’actualité sur la perception de la problématique des jeunes et notamment de la fugue ??
- A ce propos, certains média parlent actuellement de « politique sécuritaire », quel est votre avis par rapport à ça ?
- Quelles influences pourrait avoir cette politique sur la fugue ??
- Dans votre livre, « Les apaches des parkings » (paru en 1999), vous parlez de l’image que la société a des jeunes. D’après vous, qu’en est-il actuellement ?
- Comment avez-vous vu évoluer la perception de la fugue depuis que vous êtes le directeur de « SOS-Jeunes/Quartier Libre » ?
- C’est le système qui a été rejeté dans les années 60, justement
Bonjour Bernard Devos.
Si on lit la biographie au dos de votre livre, on apprend que vous êtes, entre autres, éducateur, islamologue de formation et directeur de l’AMO « SOS-Jeunes / Quartier Libre ».
Comment souhaiteriez-vous vous présenter à nos internautes ?
B. D. :
Hé bien comme ça… Moi, j’ai toujours une petite prédilection sur le fait d’être éducateur. C’est ma formation initiale et c’est celle qui me semble la plus importante dans mon parcours professionnel. Pour le reste, c’est vrai que je suis fort investi, depuis longtemps, dans des problématiques jeunesse. Et donc, c’est vrai, mon intérêt ne se limite pas à ma profession. C’est mon gagne pain mais c’est aussi un intérêt fondamental pour des questions de société ; notamment, les question liées à l’évolution de la jeunesse dans notre société. Et, tout ce qui est dit est juste.
Dans le cadre de votre activité professionnelle, vous avez réagi, dans le journal « Droits des jeunes », sur certains propos qui associent la fugue au délit. Quelle est votre position ?
B. D. :
C’est évidemment dramatique. Donc, c’était suite à une recherche qui a été publiée par « Child Focus » (centre européen de enfants disparus et sexuellement exploités), où on avait plutôt l’impression qu’il fallait absolument poursuivre, condamner, mettre une pression judiciaire sur les jeunes fugueurs. Ce qui est évidemment une fausse route à mon sens, dans le sens où, bien sûr, on a pas envie d’encourager les jeunes à fuguer de chez eux. C’est certain que la fugue peut être une période de latence, une période de flou, dans la vie du jeune qui peut le mettre en contacte avec des personnes peut-être mal intentionnées, qui peut le mettre à certains moments sur la voie d’une petite délinquance de survie, etc. Mais à côté de cela, la fugue a une mission de soupape, je dirais, dans le milieu familial qui permet au jeune d’exprimer d’une façon très claire, très physique un problème qui surgit entre lui et ses parents, souvent, et lui et sa famille. Et donc, communiquer ou faire passer l’idée que la fugue est un délit, et donc alourdir sa signification aux yeux des jeunes et des parents, est évidemment très maladroit dans le sens où cela raidit les positions des uns et des autres. Les jeunes seront peut-être enclins à fuguer malgré tout mais à se cacher plus pour ne pas être pris etc. Et les parents seraient sans doute enclins à prendre de façon beaucoup plus dramatique une manifestation d’une difficulté du jeune qui existe depuis toujours et qui a toujours existé. Donc, moi je pense qu’il ne faut pas dramatiser et certainement pas « judiciariser » un comportement somme toute banal chez les adolescents et les adolescentes.
En tant que directeur d’une AMO, quels seraient les conseils que vous donneriez à des jeunes qui ont fugué ou pensent fuguer ?
B. D. :
Moi je dirais, de façon un peu provocatrice, que s’ils pensent fuguer, s’ils estiment que c’est ça la solution, qu’ils fuguent donc. Je sais que c’est paradoxal mais... heu …il y a certainement d’autres moyens de l’exprimer. Mais si ce qu’on veut exprimer n’est pas possible, si le jeune n’arrive pas à le faire, il ne faut pas rester avec un malaise. Si on a trouvé, si on a cherché tout peut-être bien que c’est une solution, qu’il ne faut pas préconiser pour les raisons que j’ai cité tout à l’heure, les risques liés au départ du milieu mais surtout ne pas hésiter quand même, en fonction de ses peurs de passer à l’acte. Je pense que on sait et on le voit souvent, une fugue est parfois l’occasion d’une remise en ordre de petits désordres familiaux qui s’accumulent et qui deviennent insupportables. Et alors, une manifestation parfois aussi importante, aussi marquée, est parfois le révélateur, et permet à chacun de se repositionner au sein de la famille. Donc, je disais de cette façon de provocateur « Fuguez ! fuguez ! ». Ce n’est vraiment pas du tout cela que je voulais dire mais n’hésitons pas quand même, le passage à l’acte est quelque chose d’important et qui permet parfois de remettre le pendules à l’heure.
Justement, l’actualité est assez riche au niveau des fugues, disparitions et, au niveau même, d’autres problèmes de délinquance. Quel est, selon vous, l’impact de l’actualité sur la perception de la problématique des jeunes et notamment de la fugue ?
B. D. :
Moi, je n’arrête pas de dire que l’image des jeunes délinquants, fugueurs etc., tout ça semble être mise dans un même magma, est évidemment dramatique. Moi, je pense qu’il y a deux réalité. Il y a la réalité. Et puis, il y a la réalité de la réalité comme, disait Watzlawick (psychosociologue américain), qui est une réalité qui est interprétée, notamment très fort par les media. Je suis frappé de l’importance qu’ont les media aujourd’hui à l’heure où l’on enregistre cette interview. L’affaire du jeune Mariuz qui a assisté à un match de football Ce n’est qu’une information. C’est l’information qui fait le scandale. Ce qui s’est passé en réalité est relativement anodin. C’est le fait de l’information, sur la sortie de ce jeune et sur sa présence au match, et l’interprétation et les gesticulations politiques qui font qu’aujourd’hui c’est une affaire importante. Et donc, cela donne, de nouveau, une image déplorable de la jeunesse. On en arrive à avoir un public qui souhaiterait plus de sanctions. Et notamment par rapport à la fugue, l’idée de « judiciariser » la fugue ça vient de là aussi.
A ce propos, certains média parlent actuellement de « politique sécuritaire », quel est votre avis par rapport à ça ?
B. D. :
On est en plein dans le sécuritaire. On est en plein dans la crainte. On est en plein dans l’angoisse de la jeunesse. Alors que la jeunesse a toujours été considérée comme étant le ferment d’une société, comme étant le moteur de l’amélioration d’une société. Aujourd’hui, de plus en plus, on s’en défend, on s’en protège et on considère la jeunesse comme étant un vecteur d’insécurité, un vecteur de mal-être social, un vecteur d’agressivité et de violence, etc. Alors que, il semble que, à l’analyse sur un laps de temps relativement long, la jeunesse n’a jamais été aussi productive, aussi positive qu’à la période que l’on connaît. Maintenant, c’est vrai qu’aux années des « Golden sixties » où les choses étaient beaucoup plus brillantes, mais, je veux dire, la jeunesse est à l’image de la société. La société est en question, les jeunes le sont aussi, ni plus ni moins que les adultes. Alors, le fait qu’ils sont « en vacances », qu’ils n’ont pas de fonction sociale particulière, fait que leurs agissements sont plus visibles qu’ils vivent en rue, qu’ils sont plus présents. Mais, ils sont extrêmement à l’image de la société dans laquelle ils vivent et qui les a mis au monde.
Quelles influences pourrait avoir cette politique sur la fugue ?
B. D. :
Certainement, notamment, de dramatiser encore un contexte qui est suffisamment difficile à vivre et par les familles et par les jeunes qui partent de leur milieu familiale. Je pense que, à force de vouloir sanctionner, punir, « judiciariser », donner une connotation, j’ai envie de dire, un peu socialement dramatique à des agissements qui sont (comme je le disais toute à l’heure) somme toute relativement courants à l’adolescence, c’était le pire que l’on peut faire. Il ne faut ni banaliser ni dramatiser. On est fort dans la dramatisation. (Site Fugue : C’est de le notion de confiance dont vous parlez ?) Oui, tout à fait. Et forcement, les jeunes qui se retrouvent dans des situations pareilles sont évidemment mal pris. Comment est-ce qu’un jeune fugueur qui n’a pas recours régulièrement à un service social, pousserait la porte d’un service, sans savoir si ce service ne va pas tout compte fait le ramener « manu militari » devant une juridiction de la jeunesse ou au commissariat de police alors qu’il a fait un choix différent ? Je veux dire, tout est très confus à ce niveau là.
Dans votre livre, « Les apaches des parkings » (paru en 1999), vous parlez de l’image que la société a des jeunes. D’après vous, qu’en est-il actuellement ?
B. D. :
Elle est pire qu’en 1999, largement pire, et je ne vois pas de prise de conscience. J’ai rarement dit que les media font l’actualité, ils reflètent l’actualité. Mais, j’ai l’impression que ces derniers temps, notamment qu’en matière de jeunesse, les media font l’opinion publique. Je n’ai jamais senti ça de façon aussi flagrante que ces derniers temps. Les derniers événements, qui concernent tant des adultes que des jeunes, des évasions etc. ou ici l’affaire du jeune Mariuz au stade de football. C’est quand même un montage médiatique pur et simple qui consiste à faire peur. Et, on se demande que est l’intérêt des media de vouloir faire peur. Si ce n’est à réclamer encore plus de, j’en envie de dire, de « méthodologie sécuritaire », de renforcer, de légitimer le retour à la sanction, à le force, à la présence policière etc. Moi, je me pose vraiment des questions. Je trouve ça très inquiétant. Force est de constater que, quand on parle des jeunes dans les media, c’est plus pour mettre en avant leurs éventuels égarements, leur délinquance, leur déviance que pour montrer l’apport constructif d’une grosse majorité à la société. (Site Fugue : C’est un peu le retour des étiquettes ?). Ce n’est pas le retour. Elles n’ont jamais disparu mais elles sont, en tout cas, très marquée pour le moment. Ca doit être le retour de la rentrée scolaire… les étiquettes… étiquettes, scolaire, cahiers… t’as compris ?
Comment avez-vous vu évoluer la perception de la fugue depuis que vous êtes le directeur de « SOS-Jeunes/Quartier Libre » ?
B. D. :
Moi, je pense qu’on en parle de nouveau. Entre il y a 10-15 ans et maintenant, on reparle plus de la fugue. On en a parlé tout un temps, on a oublié ça. Et puis, on l’a oubliée parce qu’on a été plus pris par des questions de disparitions inquiétantes. Et, la limite entre la fugue et la disparition inquiétante on sait que c’est très ténu. Une disparition inquiétante, ça commence toujours par une fugue. Alors, c’est très important. Donc, on était tellement braqués. (Site Fugue : Une fugue ou un enlèvement… ). Oui, mais le départ, le signe, c’est souvent la fugue. C’est très rare qu’on voie la personne qui est enlevée. Donc, on se dit « elle est peut-être partie ». D’ailleurs, dans la majorité des disparitions inquiétantes, on pense d’abord à une fugue. Une fois qu’on a éliminé la fugue ou qu’on a tenté de l’éliminé, on se dit c’est une disparition inquiétante. Si on se dit que la jeune ou le jeune est en fugue, ce n’est pas une disparition inquiétante. C’est inquiétant au niveau des parents, mais ce n’est pas inquiétant au niveau « policier » du terme. Donc, je pense vraiment que maintenant qu’on est sorti un peu de cette affaire Dutroux et de ces fantasmes de réseaux, de pédophilie etc., on commence à se rendre compte que, indépendamment des disparitions inquiétantes, il y a beaucoup de fugues, malgré tout. Il y en a peut-être de plus en plus, parce que le climat de confiance entre le monde des jeunes et le monde des adultes est délétère, et ne s’est pas amélioré en 15 ans. Et aussi parce que, c’est peut-être de nouveau une question de focal médiatique, on est sorti de ces questions de disparitions inquiétantes, de mauvais traitements infligés à des enfants et à des jeunes. Et, on redonne peut-être un coup de projecteur plus important (à la fugue). Donc, je ne suis pas certain qu’il y ait plus de situation de fugue qu’avant. Sans doute qu’on y est plus attentif qu’il y a quelques années. Et on y est, notamment, attentif parce qu’on sait que c’est parfois, effectivement, le point 0 de la disparition inquiétante… ou le point 1. Par rapport à cette prise en charge, cette prise en considération, je disais tout à l’heure qu’effectivement c’était cet aspect pénalisant, « judiciarisant », qui est de plus en plus prégnant, de plus en plus présent par rapport à ce phénomène.
C’est le système qui a été rejeté dans les années 60, justement
Parfaitement. C’est toujours le retour du balancier de l’histoire.
Merci Bernard Devos